La houille et ses dérivés
La dernière séance du cours de sciences physiques avait attiré une assistance nombreuse. Cette leçon terminait la seconde année du cours, et le sujet choisi était plein d’attrayantes promesses.
Quel merveilleux tableau, en effet, que celui des métamorphoses de la houille !
Ce corps, de la plus modeste apparence, le moins fait pour appeler l’attention par ses avantages extérieurs, sombre comme les entrailles du sol d’où il est laborieusement extrait, se transforme comme par magie !
La Science, cette fée dont le travail est le seul talisman, aidée de sa sœur l’Industrie, sait faire surgir de la matière grossière les produits les plus utiles, les plus précieux !
Résumer la séance de vendredi dernier, c’est raconter cette féerique histoire qui, à l’encontre des fictions dont on berce l’enfance, est aussi réelle que merveilleuse.
Reportons-nous par la pensée vers ces temps si reculés de nous, où la terre, attiédie de l’un à l’autre pôle, se couvrait d’un manteau luxuriant de verdure. Alors les herbes étaient des arbres, les arbres étaient des géants. C’était le triomphe du règne végétal.
Mais à une autre époque, les végétaux sont engloutis. Alors a pris lentement naissance dans les profondeurs du sol la houille, ce fossile végétal que nous retrouvons aujourd’hui. Débris d’un monde disparu, le noir charbon de terre garde parfois l’empreinte fidèle des troncs, des branches, des feuilles qui l’ont formé. Les découpures délicates des fougères, les écailles des lépidodendrons, les folioles étoilées des astérophylles gravées avec la plus scrupuleuse exactitude, s’offrent à nos yeux dans maints fragments ; et telle est la précision de ces dessins naturels, qui ont bravé l’action séculaire du temps, que, grâce à eux, les végétaux d’une époque reculée ont pu être retrouvés et étudiés jusque dans les plus minimes détails de leur organisation intime. C’est en explorant les catacombes où sont ensevelies les dépouilles de tout un règne, que le géologue a pu faire revivre, pour ainsi dire, les générations lointaines d’êtres depuis longtemps disparus !
Si la science du passé de notre globe est éclairée par l’étude d’une simple couche de charbon, n’oublions pas que l’industrie surtout en tire le plus direct profit. La houille, c’est le combustible par excellence : c’est la houille qui transforme le minerai impur en un brillant métal ; c’est la houille qui donne à la vapeur sa prodigieuse puissance et lance sur les rails de fer la locomotive rapide ; c’est la houille encore qui anime l’hélice ou la roue du navire et lui fait tracer sur la “plaine liquide” son fugitif sillon !
Réclamée en toute circonstance par l’industrie, elle est véritablement le pain de l’usine ; et les Anglais appellent “diamant noir” cette matière, source inépuisable de richesse et de fécondité.
[…]
Quelle est donc la puissance qui fait surgir d’une matière – autrefois véritable paria de l’usine – les produits qui rendront la santé, préserveront les récoltes, fourniront les plus suaves parfums et les plus brillantes couleurs ?
Nous ne saurions mieux répondre qu’en citant, après M. Reynaud, une page extraite d’un charmant volume consacré à la houille par M. Tissandier, l’intrépide compagnon des courageux aéronautes, dont la mort prématurée a été récemment la douloureuse émotion du monde :
“Comment s’opèrent, dit M. Tissandier, de telles métamorphoses, qui effacent les contes fantastiques des Mille et une nuits ?
“Comment l’art a-t-il réalisé des transformations que l’imagination la plus extravagante n’aurait jamais rêvées ? Et quelle est donc la fée bienfaisante qui peut opérer des changements à vue si rapides et si surprenants ?
“Ces résultats ne se sont produits qu’à la suite de travaux assidus, de veilles prolongées et d’observations patientes ; il n’y a ni hasard, ni bonne fortune, dans ces milliers de faits prodigieux que nous venons de parcourir ; il n’y a que savoir et travail, qui sont le secret des grandes découvertes.
“Si nous profitons partout et à tout moment des innombrables prodiges accomplis par l’industrie moderne ; si nous nous éclairons avec un gaz qui s’échappe de la houille en traversant sous terre de longs conduits ; si nous nous chauffons en hiver devant un feu de coke, qu’on a formé dans l’usine à gaz elle-même ; si nous avons à notre disposition les produits tinctoriaux qui parent nos étoffes, les agents thérapeutiques qui combattent nos maladies, n’oublions pas que, pour obtenir ces produits utiles, s’agite toute une armée de travailleurs, véritable armée du progrès : des milliers d’ouvriers sont à l’œuvre, nuit et jour, pour les besoins de la société ; des milliers de savants et d’industriels dirigent tout ce mécanisme complexe et perfectionnent sans cesse les rouages qui le font agir.
“Bien des inventeurs ont passé avant qu’on ait fabriqué le violet d’aniline, et bien des chercheurs ont accepté, la tâche difficile de trouver un résultat nouveau.
“Dans les prodiges de la transformation de la houille, il n’y a d(autre miracle que celui du travail persévérant.”
Après la lecture de cette belle page, M. Reynaud, prenant congé du public, exprime l’espoir que sa tâche ne s’arrêterait pas là. “J’aurais, dit-il, bien d’autres merveilles à exposer devant vous ; je puis ici, sans vanité, parler de mes richesses, car elles ne sont autres que celles dont la nature, la science et l’industrie nous offrent partout le spectacle.
“Je remercie le public si bienveillant, qui m’a récompensé de mes efforts ; l’administration qui, sans distinction de personnes, m’a toujours soutenu de sa sympathie et encouragé de son zèle, et j’espère que l’hiver prochain nous réunira de nouveau.”
La municipalité – M. le Maire et l’un de ses adjoints – assistait à cette séance, qui clôt la deuxième année du Cours public de sciences physiques de la ville du Puy.