Les métaux, les mines et la métallurgie
L’une des plus intéressantes séances de notre cours public est, nous semble-t-il, celle de vendredi dernier. Entraîné par un grand et beau sujet, le professeur réussit à la fois attrayante et instructive l’une des plus importantes pages du livre de la science appliquée.
Parmi les sujets si divers dont s’occupe successivement notre vulgarisateur, il en est qui, se rattachant plus directement à notre vie, à nos besoins, ont pour nous tous un plus grand attrait. Ce sont ceux qui se rapportent à des objets, pour ainsi dire, familiers, et qui nous apprennent ainsi à mieux connaître et à mieux apprécier les services que nous rendent chaque jour la Science et l’Industrie.
« Il y a, dit Jean [sic] Reynaud, deux manières d’étudier l’histoire naturelle : l’une, à proprement parler, scientifique ; l’autre, que l’on peut nommer sociale. La première a pour but de découvrir les choses de la nature en elles-mêmes, quelles sont leurs propriétés essentielles, leurs lois, leurs rapports réciproques ; par conséquent, elle est astreinte à les embrasser dans leur totalité, sans prédilection pour celles qui importent le plus au service de l’homme, comme sans négligence de celles qui y sont le plus complètement étrangères ; celle-ci réclame les classifications universelles et philosophiquement assises. La seconde manière ouvre des horizons moins vastes ; elle ne s’adresse qu’aux objets qui se lient à nous par des relations habituelles, et ne les considère qu’au point de vue de l’usage que nous avons coutume d’en faire. Comme la précédente cherche à tirer de la nature les clefs du monde absolu, celle-ci ne lui demande que les clefs du monde de l’Industrie.
« On ne peut nier sans doute que la supériorité n’appartienne à la première ; c’est elle-même qui soutient entièrement la seconde, puisque c’est d’elle que dérivent les faits généraux dont l’homme apprend postérieurement à tourner la connaissance à son profit.
« Mais il faut avouer que, s’il y a plus de grandeur dans l’une, en revanche il règne plus de charme dans l’autre ; les formes n’y sont pas aussi austères, on n’y perd jamais l’homme de vue, et chaque sujet y ramène infailliblement l’esprit vers quelque bien ou quelque souffrance de l’humanité, toujours vers quelque invention ingénieuse.
« Il n’y a donc pas à s’étonner que cette manière d’étudier l’histoire de la Nature ait depuis longtemps obtenu, près du commun des hommes, la préférence sur la manière purement scientifique ; car l’une convient à tout le monde, tandis que l’autre ne saurait être le domaine que des savants. Autant il serait déraisonnable de prétendre qu’une bonne éducation doit conduire à tout savoir, autant il est sagement mesuré de viser à ce que cette éducation ne laisse subsister que le moins d’ignorance possible dans le cercle de nos relations habituelles, et nous fasse communiquer familièrement par l’intelligence avec tout ce qui nous touche. »
Nous avons cité ces paroles sensées parce que nous voudrions réussir à faire goûter le charme de cette « communication familière par l’intelligence avec ce qui nous touche », en racontant ici cette histoire des métaux qui est l’objet de notre entretien.
[…]
En attendant que la science rétrospective nous permette de plonger le regard dans le creuset où s’élabora pour la première fois le fer, et d’y surprendre le secret des premiers métallurgistes, nous essayerons de retracer ici à grands traits le tableau de cet art merveilleux de la métallurgie du fer, qui fit l’objet principal de la dernière leçon de M. Reynaud.
Pénétrons dans une de nos grandes usines modernes ; ne nous laissons pas étourdir par le mouvement et le bruit qui, de toutes parts, nous environnent ; habituons-nous à cette activité, à cette fièvre du travail qu’excitent les exigences d’une rapide production.
Voici devant nous les minerais que nous avons nommés plus haut. Quels qu’ils soient, ils sont mélangés à des matières terreuses, au sable, à l‘argile, d’où on les a laborieusement extraits. Dans un appareil très simple, on procède à leur lavage : la masse est agitée dans l’eau par les chocs incessants d’une roue à palettes ; le minerai de fer, plus lourd que l’argile, tombe au fond, tandis que l’eau entraîne les matières légères.
Ainsi débarrassé d’une grande partie de sa gangue, le minerai est porté devant les appareils destinés à lui faire subir l’action d’une haute température.
Approchons-nous d’un de ces hauts-fourneaux, véritables monuments de briques et de pierres, dressant vers le ciel, à vingt mètres du sol, leur béant orifice, d’où s’échappe une ardente flamme.
Quel bruit se fait entendre ? La terre tremble sous l’effort de vibrations assourdissantes ! C’est l’haleine puissante de gigantesques machines que, non loin de nous, la vapeur met en mouvement.
Lancé par ces souffleries, l’air pénètre vigoureusement dans les tuyères et traverse la masse intérieure.
Un ruisseau de feu s’échappe de ce côté : c’est l’écume bouillonnante que rejette incessamment de ses flancs le colosse aux entrailles embrasées ! Incessamment aussi ce colosse reçoit et dévore ! Jetons les yeux à l’ouverture supérieure du haut-fourneau : le mélange de combustible et de matière première, de charbon et de minerai, amené dans de petits wagons qui glissent rapidement sur des rails aériens, est sans cesse introduit par le gueulard, bouche énorme toujours ouverte ! Additionné de fondants, substances destinées à absorber et liquéfier l’écume qui entraînera les impuretés, ce mélange pénètre dans la cuve, partie graduellement évasée, tronc de cône superposé à un autre tronc de cône renversé, nommé étalage.
Accolés par leur base, la cuve et l’étalage forment le ventre, panse énorme où commence le premier effort du feu. Pénétrant dans la partie inférieure du four nommée ouvrage, la masse subit une plus violente étreinte.
L‘ouvrage est un étranglement cylindrique ; comme les dimensions s’y resserrent, la chaleur s’y accumule. C’est à la base de ce laboratoire igné que dardent les jets embrasants des tuyères ; là, tout est prévu pour que la température atteigne sa plus haute limite. Comme son nom le rappelle, c’est dans l’ouvrage que le travail du feu s’accomplit. Le métal dégagé des liens qui le retenaient, incandescent, saturé de chaleur, vient couler lentement, à la base du fourneau, dans le creuset, réceptacle aux parois réfractaires pour résister à ce contact ardent !
L’œuvre alors est-elle accomplie ? Non, ce n’est là que la première étape. Ce métal, que dégage en ruisseau éblouissant de lumière le trou de coulée entr’ouvert ; ce métal, qu’un moule sable reçoit pour nous le rendre façonné de mille manières ; ce métal, ce n’est pas encore le fer pur.
Dans son laborieux enfantement, entouré de charbon, qu’excitait la chaleur la plus vive, le fer s’est uni à une petite proportion de ce charbon.
[…]