Monsieur le Directeur,
Quiconque tient une plume s’honore à reconnaître le mérite d’une innovation, dès qu’elle consiste en un progrès réel. Eh bien, il faut dire et répéter que nos édiles ont bien fait de compléter l’enseignement donné à nos écoles municipales par la création d’un cours public de sciences physiques.
Ce cours vient combler une immense lacune dans l’instruction des ouvriers et de nos filles. Celles-ci reçoivent dans les divers pensionnats de la ville des leçons fort approfondies sans doute, mais dans tout ce qu’on leur enseigne il y a à peine quelques mots de physique, pas un mot de chimie. Quant à nos ouvriers, les mots physique et prestidigitation éveillent en eux la même idée.
Et cependant, dans ce siècle qui a vu éclore les magnifiques applications de la science qu’on appelle les chemins de fer, la lumière électrique, la télégraphie, la galvanoplastie, la photographie, applications dont tout le monde profite, il n’est pas permis d’ignorer les principes sur lesquels elles s’appuient.
Le cours de physique de l’Hôtel-de-Ville, qui a pour but de vulgariser la science, est donc une bonne chose, mais ce n’est pas assez de le fonder, il faut encore qu’il dure. Sous l’administration de M. Préat, il fut donné, dans la même salle qu’aujourd’hui, des leçons de littérature et de physique qui étaient fort suivies ; comme aujourd’hui la salle était comble bien avant l’ouverture de la séance. Malheureusement cela ne tint pas, et il faut cette fois que cela dure, il le faut dans l’intérêt de tout le monde, et je ne doute pas, Monsieur le directeur, que vous ne fassiez tous vos efforts de publicité pour que les conférences de l’Hôtel-de-Ville ne soient pas un nouvel et infructueux essai.
[…]
Nous sommes ignorants parce qu’on ne fournit pas assez les moyens de nous instruire, mais qu’il ouvre un cours à l’Hôtel-de-Ville, et tout le monde s’y précipite. Que notre jardin public soit transformé en jardin botanique et tout le monde ira y étudier, surtout si un des membres de notre société d’agriculture consent à faire un cours de botanique au musée. Qu’un médecin de notre ville ait le patriotisme de faire à la mairie un cours d’hygiène, et l’Hôtel-de-Ville sera trop petit pour recevoir les auditeurs.
A mon avis, le cours actuel de la mairie n’est qu’un essai : qu’est-ce qu’une leçon par quinzaine ? Il en faudrait deux par semaine, une le jeudi et une le dimanche. Nos cabarets y perdraient peut-être ; mais nos ouvriers s’en trouveraient mieux. […]
Qu’il soit donc le bienvenu le cours de l’Hôtel-de-Ville, et qu’il dure et qu’il soit plus fréquent. Ne doit-on pas, d’ailleurs, utiliser toute la bonne volonté d’un conférencier aussi dévoué, aussi distingué que notre jeune compatriote, M. Émile Reynaud ? Obligé de parcourir en une seule leçon la matière de dix séances, il excelle à mettre en relief, dans une série de phénomènes analogues, l’expérience capitale, celle qui met le principe dans toute son évidence ; dans sa bouche la science perd sa forme austère et nos dames, en écoutant ce spirituel causeur, sont tout étonnées que la science soit aussi attrayante.
Mais si M. Reynaud parle bien, il expérimente admirablement. Il a accumulé tous les moyens que la science moderne fournit au professeur pour mettre les faits et les lois physiques à la portée de toutes les intelligences. Je me rappelle qu’au Lycée, le professeur, pour nous faire connaître un appareil qu’il n’avait pas dans son cabinet, le dessinait tant bien que mal au tableau ; cet ensemble de lignes blanches, sur un fond plus ou moins noir, n’était pas d’une clarté parfaite, malgré la bonne volonté du professeur et, à une petite distance, on ne voyait plus. Si M. Reynaud avait adopté ce procédé dans ses conférences, qui ont lieu le soir, à la lumière, ses auditeurs seraient à coup sûr moins nombreux. On n’aurait pas compris parce qu’on n’aurait rien vu. Notre conférencier s’y est pris autrement. A l’aide d’un puissant appareil à projection, éclairé par une vive lumière, lumière oxhydrique ou lumière électrique, il projette sur un grand écran, en traits de feu, des photographies très exactes des appareils qu’il veut décrire, et ces images, considérablement amplifiées, sont visibles de tous les points de la vaste salle de conférence. L’effet est saisissant, car ces photographies ne représentent pas seulement l’appareil à l’état passif, à l’état de repos, mais l’appareil fonctionnant. Par d’ingénieux artifices, M. Reynaud donne la vie à ses photographies, si bien que pour ne pas comprendre il faudrait littéralement fermer les yeux.
Il faut ajouter que M. Reynaud est fort bien secondé dans ses expériences par un aide intelligent et zélé, dont le public admire l’habileté. Les auditeurs des conférences ne se doutent pas des longues préparations qui les précèdent. M. Reynaud parle si aisément, l’expérience arrive avec tant de précision et de succès que le public trouve tout cela fort naturel.
Je termine cette longue lettre, en vous remerciant, monsieur le Directeur, de vouloir bien l’insérer et en vous priant de protéger, d’encourager de tout votre pouvoir les efforts qui tendront à donner un peu plus d’éclat à cette teinte noire dont est marqué notre département sur la carte de l’instruction en France. […]
UN DE VOS ABONNÉS