Le Pélerin n°166 – 6 mars 1880 – Page 991
Par Christelle Odoux le mardi 5 août 1902, 12h00 - Presse - Lien permanent
Inventions
Le Praxinoscope
Par B. B.
Aujourd'hui, nous parlerons d'une invention plus récréative et qui pourrait être employée à représenter d'une manière saisissante des images de la Passion, si l'on comprenait mieux que toute chose, même une récréation, doit être ramenée aux seules préoccupations pour lesquelles nous sommes faits, et devenir par là même plus attrayante.
Expliquons l'invention, les bonnes applications viendront ensuite.LE PRAXINOSCOPE
Les impressions lumineuses perçues par l'œil demeurent sur la rétine pendant environ l'espace d'un dixième de seconde.
Cette circonstance a donné l'idée du Phenakistiscope ! Sous ce nom à la fois barbare et savant, il faut reconnaître un aimable jouet que nos lecteurs ont vu sans doute fonctionner dans leur enfance. Il s'agit de ce joujou composé d'un disque tournant, sur lequel sont reproduites en petits dessins les différentes phases d'une action quelconque.
Par exemple prenons un saltimbanque qui saute ; le premier dessin le montre au repos, le second dessin le montre s'élevant en l'air, le troisième plus haut... et le dernier dessin le ramène à la position de départ.
Quand le disque tourne, le spectateur voit à travers des fentes étroites ces dessins se succéder avec rapidité, et l'impression totale perçue par l'œil se trouve être celle de l'objet animé ; c'est donc devenu une image vivante. Si curieux que soit le phénomène, l'instrument qui le révèle ne laisse pas que d'être assez imparfait. En raison même de la durée de l'impression lumineuse sur la rétine, durée qui n'est pas la même pour tous, il arrive, ou que, le plateau tournant trop lentement, le mouvement semble s'effectuer par saccades, ou que, tournant trop vite, il donne à ce mouvement apparent une rapidité nullement en rapport avec la nature du dessin, et que l'œil a d'autant plus de peine à saisir, que la perte de lumière résultant de l'emploi de fentes étroites et espacées est considérable.
M. Reynaud, un physicien, n'a pas dédaigné de mettre son savoir au service de ce jouet, et, combinant habilement différents phénomènes optiques, il en fait un véritable instrument scientifique fort curieux.
D'abord il a simplifié le nom et l'a diminué de deux syllabes, ce qui est déjà un progrès ; c'est désormais le praxinoscope.
M. Reynaud dispose la succession des petits dessins sur la paroi intérieure d'un cylindre métallique que nous représentons ici ; ces petits dessins ont la face tournée vers le centre et se reproduisent sur des miroirs dont on voit les facettes successives sous un flambeau. Les distances sont disposées de sorte que chaque image dans la glace semble située au centre de l'appareil, c'est-à-dire sous l'axe du flambeau.
Si maintenant l'expérimentateur imprime avec la main un mouvement de rotation à l'ensemble de l'appareil, l'enfant qu'on a choisie dans notre dessin pour observateur, et qui est placée n'importe de quel côté, en fixant le miroir, verra successivement les images se former au centre du système, et se succéder sans qu'il y ait interruption entre elles, ni dans le rayon visuel. De là, dans l'apparence du mouvement, une douceur et une continuité que l'on n'obtenait pas autrefois.
L'illusion du mouvement se borne cependant jusque-là à des simples images animées. M. Reynaud est parvenu à compléter son appareil en isolant ces figures du fond sur lequel on les voit, afin d'offrir un décor qui manque ordinairement à ce spectacle ; voici par quel artifice :
Chacune des figures est dessinée sur un fond absolument noir, sur lequel on projette, à l'aide d'une glace sans tain, l'image d'un décor spécial. Expliquons mieux :
On connaît cette propriété des glaces sans tain qui, sous certaines conditions d'éclairage, permettent d'obtenir par réflexion l'image d'un objet en même temps qu'elles laissent voir par transparence les objets situés au delà. Une de ces glaces est donc disposée avec les inclinations convenables entre le couvercle et l'appareil, et le décor est placé au fond de ce couvercle, tourné du côté de la glace sans tain.
Une ouverture rectangulaire découpée dans le couvercle permet à l'observateur (voir la gravure) de regarder le phénomène à travers la glace sans tain, et comme cette glace réfléchit le décor, tout en laissant voir en même temps sur les miroirs de l'appareil la succession des dessins, l'observateur voit à la fois le décor toujours fixe et l'image vivante.
La position de cette glace est calculée de façon à ce que le décor en se réfléchissant paraisse derrière l'image, et l'ouverture du couvercle étant assez grand, pour permettre l'emploi des deux yeux, le relief est saisissant. La seule précaution à prendre est de bien éclairer le décor, soit en se plaçant devant une fenêtre, soit en employant le soir une simple bougie munie d'un réflecteur et placée sur l'instrument.
On peut limiter le champ de la glace sans tain par un encadrement opaque. L'appareil est alors caché ainsi que son mécanisme et les agitations de l'image dans l'espace tiennent du miracle pour le spectateur non prévenu.
L'impression, nous l'avons dit, est frappante, et, chose remarquable, elle est produite par de simples apparences, moins que des ombres. Image réfléchie du décor, image réfléchie du sujet. Que nos sens sont faciles à abuser, et quelle prudence est imposée à ceux qui tentent d'expliquer les grands phénomènes de la création ! – Combien de théories, d'ailleurs, avons-nous vu crouler, combien de temps dureront celles qui les ont détrônées ?
En images :
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