À travers les inventions d'Émile Reynaud, nous pouvons retrouver chez l'inventeur la volonté constante d'en améliorer les effets. La stéréoscopie animée est une des évolutions du Praxinoscope prévue dans le brevet de 1877. La projection animée en relief à partir d'une bande de longueur indéfinie est évoquée dans les brevets du Stéréocinématographe en 1902 et dans celui du Stéréo-Cinéma en 1907. Mais si Émile Reynaud parvient à obtenir les effets du relief sur une image animée, il ne parviendra jamais à en réaliser la projection. Les difficultés matérielles, la guerre et l'âge achèveront d'anéantir l'ultime projet de l'inventeur.

La photographie stéréoscopique

Émile Reynaud, qui naît en 1844, n'est encore qu'un jeune enfant lorsque la stéréoscopie commence à être diffusée en France. Il va grandir alors que se développe ce nouveau divertissement dans les foyers. Après diverses expériences professionnelles, il travaille comme opérateur chez le portraitiste Adam-Salomon avant de s’installer comme photographe à Paris. Maurice Noverre[1] nous dit alors que : « La clientèle clairsemée lui laissant des loisirs, il s'efforça de les réduire par les travaux de librairie (article de dictionnaire), de photographie scientifique et de stéréoscopie ». Couples stéréoscopiques des principales familles végétales - Sous la direction d'Adolphe FocillonAinsi, sous la direction du professeur et naturaliste français Adolphe Focillon, il réalise les couples stéréoscopiques des principales familles végétales. En 1864, il devient l'assistant-conférencier de l' Abbé Moigno qui avait, en 1851, grandement contribué à la vulgarisation en France de l'appareil stéréoscopique[2].

La stéréoscopie animée

Dans le brevet d'invention du Praxinoscope, un premier schéma de ce qui sera le Stéréo-Cinéma en 1907 est déjà esquissé. En 1879, l'effet obtenu avec le Praxinoscope-Théâtre est déjà saisissant : le personnage se découpe parfaitement au devant du décor. Cet effet disparaît avec le Praxinoscope à projection, l'invention suivante d'Émile Reynaud (1880). L'image animée et le décor viennent se superposer, à plat l'un sur l'autre, sur la toile et l'effet de relief disparaît. Avant de revenir à l'étude de la stéréoscopie animée et à sa projection, Émile Reynaud va s'attacher prioritairement à la réalisation de la projection d'une animation non cyclique, à partir d'une bande de longueur indéfinie. En 1888, il met au point son Théâtre optique avec lequel il proposera au public du Musée Grévin de véritables petits dessins animés, appelés Pantomimes lumineuses, dès le 28 octobre 1892. De nombreuses recherches sur la stéréoscopie animée[3] vont alors être menées, en parallèle, par d'autres savants qui vont prendre de l'avance sur Émile Reynaud dans leurs découvertes.

La projection animée en relief

Le 9 juin 1890, Alfred Molteni organise une séance de projection de vues anaglyphiques fixes dont la Nature, la revue scientifique de Gaston Tissandier, se fera l'écho. Dans l'un des articles publiés, on trouve même une véritable invitation à l'application de ce procédé stéréoscopique au Praxinoscope[4] : « Il serait même possible, en utilisant le principe du praxinoscope conjointement à celui des projections stéréoscopiques, de donner à ces projections ainsi observées à travers des lunettes à verres colorés, l'illusion complète d'un appareil en mouvement dans l'espace, et de montrer ainsi en activité les fonctions de certains organes de machines dont l'explication, même avec de nombreuses figures à l'appui, n'est pas toujours des plus simples et la compréhension des plus faciles ».

Ce procédé, partant du principe que certaines couleurs disparaissent si elles sont vues à travers un filtre d'une même couleur, permet de séparer pour le spectateur l'image qu'il observe de l'œil droit de celle qu'il observe de l'œil gauche. Denis Pellerin[5] nous indique que deux procédés différents vont être adoptés par les inventeurs dans la recherche sur la projection stéréoscopique : l'anaglyphe et la vision par alternance. Lorsqu'Émile Reynaud, après la fin des projections de Pantomimes lumineuses au Musée Grévin en 1900, reprend ses recherches sur la stéréoscopie, il ne répondra pas à l'invitation de la Nature et va s'attacher au deuxième de ces procédés.

Le Stéréocinématographe (1902)

Il conçoit d'abord un appareil pour la prise de vues stéréoscopiques : le Stéréocinématographe[6] contient un système à deux miroirs qui, adapté à une chambre cinématographique, permet l'enregistrement, en alternance des vues droites et gauches, par le même objectif, sur une bande sensible unique. Margueritte cousant - Portrait stéréoscopique animéL’image impressionnée sur la bande correspond à la vision d'un même sujet sous deux angles légèrement différents, à des instants légèrement décalés. L'un des développements de l'appareil prévu dans le brevet est son adaptation à la projection animée en relief mais le résultat à la projection n'est pas satisfaisant. Émile Reynaud écrit à son fils Paul en août 1902[7] : « J'ai dû cesser – pour le moment du moins – les essais relatifs à mon nouveau travail. Les difficultés que j'ai rencontrées sont plus grandes que je ne m'y attendais. Elles se rapportent à la seconde partie du problème, c'est à dire à la projection des images positives. Quant à mon appareil spécial destiné à obtenir les images négatives, il est, depuis un certain temps déjà, tout à fait terminé et fonctionne très bien. Mais il ne suffit pas, comme tu le comprends bien, mon cher Paul, d'obtenir la bande négative, il faut la transformer en bande positive et réunir les conditions qui permettront de la projeter et d'en obtenir l'illusion compatible tant au point de vue du mouvement qu'à celui du relief. C'est à ce point de mon travail (que des échecs successifs m'ont obligé à interrompre) que j'en suis resté (...) il est impossible de différer plus longtemps le travail de fabrication du prax, sans nous exposer au plus fâcheux retard au moment de la vente. »

Le Stéréo-Cinéma (1907)

Émile Reynaud revient sur le principe du cylindre de miroirs du Praxinoscope dont il double les éléments (pour l’œil droit et pour l’œil gauche) et qu'il dispose verticalement, reprenant le brevet de 1877. Les facettes de miroirs du cylindre de l'œil droit et celles du cylindre de l'œil gauche se chevauchent, de façon à ce que la vision alternée des images droite/gauche soit restituée lors de la rotation.
Il réalise, à l'aide du Stéréocinématographe, plusieurs portraits stéréoscopiques montrant les membres de sa famille dans des scènes de la vie courante. Les poses photographiques sont tirées en positifs sur papier, découpées et recollées sur des bandes cartonnées courbes afin de bien s'intégrer dans les tambours du Stéréo-cinéma. Le Stéréo-Cinéma - gravure de la NatureL'animation en relief est réalisée. Paul Reynaud, le fils aîné d'Émile Reynaud, écrit à Maurice Noverre en 1923[8] : « (...) il fait l'appareil servant à regarder les positives et qui ressemble à un double praxinoscope vertical. Évidemment, ce n'est pas par projection (...) mais l'effet est remarquable ». Tel qu'il est exposé au Musée des Arts et Métiers[9], on peut voir que le Stéréo-Cinéma n'est pas adapté pour la projection. Les vues qui sont montées sur l'appareil sont opaques et même en les remplaçant pas des vues transparentes, les espaces ajourés des tambours ne correspondent pas aux miroirs (12 espaces ajourés pour 18 miroirs par cylindre). Comme si Émile Reynaud avait, par mesure d'économie, récupéré pour construire ce prototype, des tambours ajourés du Praxinoscope à projection.

Avec le déclin de son entreprise de fabrication de praxinoscopes, Émile Reynaud est contraint de renoncer à ses travaux. Il revend alors une partie de son matériel et détruit son Théâtre optique. Si ses travaux sur la stéréoscopie ne furent pas décisifs dans la découverte de la projection animée en relief, ses efforts mettent en évidence la constance de sa démarche scientifique. Les contraintes inhérentes à son entreprise de fabrication de Praxinoscopes, celles liées aux projections du Musée Grévin ne lui laissent guère de disponibilités pour développer ses recherches et nous ne pouvons que spéculer sur ce qu'elles auraient pu être si les circonstances lui avaient été plus favorables.

Notes

[1] La Vérité sur l'Invention de la Projection animée, Émile Reynaud, Sa Vie et ses Travaux - Maurice Noverre - 1926 (page 14)

[2] Le Stéréoscope, ses effets merveilleux. Le Pseudoscope, ses effets étranges - F.M. Moigno - 1852 - Paris - A. Franck, libraire-éditeur, et J. Duboscq, opticien

[3] Lire Laurent Mannoni La "sensation de la vie" : débuts de la stéréoscopie cinématographique paru dans PARIS en 3D - de la stéréoscopie à la réalité virtuelle, 1850-2000 Exposition du Musée Carnavalet - Histoire de Paris (page 137) - disponible chez Heeza

[4] Article de la Nature n°901 du 6 septembre 1890, page 218, non signé mais attribué à E. Hospitalier par G. Mareschal dans son article du n°917 du 27 décembre 1890, page 49

[5] L'anaglyphe, une nouvelle forme de stéréoscopie paru dans PARIS en 3D, op. cit., (page 121)

[6] Il n'existe pas d'exemplaire connu de cet appareil.

[7] Un fac-simile de la lettre est reproduit dans La Vérité... de Maurice Noverre , op. cit., (pages 60/61)

[8] propos repris dans Émile Reynaud, Peintre de Films - Coll. Les Maîtres du Cinéma - Cinémathèque Française 1945

[9] Il n’existe qu’un seul exemplaire de cet appareil - Secteur communication, appareil désigné praxinoscope binoculaire stéréoscopique