La Compensation optique chez Émile Reynaud
Par Christelle Odoux le jeudi 1 septembre 2011, 9h45 - Paru dans le Bulletin de liaison - Lien permanent
Par Christelle Odoux
paru dans le Bulletin de Liaison n°47 - Septembre 2011
La particularité majeure des appareils d’Émile Reynaud, dès le Praxinoscope breveté en 1877, est la compensation optique par le prisme de miroir en rotation. Émile Reynaud n'est pas le premier à utiliser la compensation optique pour ses appareils mais il en est un des plus importants représentants. Qu'est-ce exactement que cette « compensation optique » ? Qu'est-ce qui est « compensé » et par quel système optique ?
Pour reconstituer un mouvement, qu'il soit d'origine réelle ou non, et qui a précédemment été décomposé en une série d'images fixes, par le dessin et/ou par la photographie, il faut à la fois que ces images s'enchaînent les unes après les autres et aussi que chacune d'entre elles soit vue de manière isolée. Ces images, sensiblement différentes, vont ensuite être interprétées comme une seule en déplacement, non pas au niveau de la rétine, comme on a pu le dire, mais au niveau du cerveau[1]
Sur les jouets optiques tels que le Phénakistiscope[2] de Joseph Plateau (1832), le Zootrope de William George Horner (1834) et le Praxinoscope d’Émile Reynaud, l'enchaînement des images est réalisé par la mise en rotation. Celle-ci est continue et ne permet pas à elle seule de distinguer les images les unes des autres dans leur déplacement : elles se confondent dans un flou. Différents systèmes sont alors utilisés afin de « figer » momentanément dans leur course : la stroboscopie, la compensation optique. Plus tard, le procédé cinématographique optera plutôt pour un système à défilement intermittent de la pellicule.
L'effet stroboscopique
L'alternance obturation/ouverture sur les jouets optiques à fentes crée un effet stroboscopique donnant l'impression de l'arrêt momentané de l'image. Cette impression est soulignée par la persistance rétinienne qui est un défaut de l'œil à effacer une image entraperçue alors même que celle-ci n'est plus dans le champ de vision. La persistance rétinienne d'une image sur la rétine n'a pas de durée fixe : son effet varie selon l'intensité lumineuse et la durée de perception de l'image. Contrairement à ce que l'on peut lire souvent, celle-ci n'intervient pas directement dans l'illusion du mouvement.
L'absence d'obturation sur le Praxinoscope étant sa différence la plus remarquable avec les jouets qui l'ont précédé, on va longtemps considérer que c'est cette absence d'obturation qui doit être « compensée » optiquement par l'apport des miroirs. Or l'obturation qui intervient pour créer un effet stroboscopique, n'intervient pas non plus de façon directe dans l'illusion du mouvement. Avec le développement du cinématographe, la pellicule ne défile plus de manière continue mais par intermittence et l'obturation permet alors surtout de masquer le moment où la pellicule est remise en mouvement entre deux arrêts, afin de cacher le changement d'image.
L'effet stroboscopique peut aussi être obtenu par éclairement momentané de l'image. Au lieu de cacher celle-ci (obturateur), on l'éclaire (stroboscope). Ce système a été adopté par le chercheur allemand Ottomar Anschütz pour ses appareils[3]. L'effet stroboscopique a pour défaut de créer un scintillement plus ou moins gênant selon sa fréquence et selon la sensibilité visuelle du spectateur.
La compensation optique
Sur les appareils d’Émile Reynaud, les images dessinées sur la bandes défilent de façon continue lors de la mise en rotation du tambour mais leur reflet, lui, est rendu fixe par les propriétés de réflexion des miroirs. La « compensation optique » est donc cette propriété qui permet de fixer une image par un système optique, alors que la source de cette image est en déplacement continu.
Un autre système par compensation optique du défilement des images était employé par l'opticien Jules Duboscq pour son Phénakistiscope à projection[4]. Ce n'est pas par la propriété de réflexion des miroirs mais par un ensemble d'objectifs mobiles[5] mis en rotation qu'étaient assurée la fixité des images. Cet appareil est vraisemblablement le premier à appliquer la compensation optique à la projection.
Sur le Théâtre optique, la compensation optique par le prisme de miroirs permet à la succession des images d'être interrompue à tout instant sans que l'image ne cesse d'être éclairée et fixe à l'écran. Ainsi, l'opérateur peut faire des pauses et des répétitions de certaines séquences en cours de projection sans être contraint à un mouvement régulier et rythmé sur l'air de Sambre et Meuse[6]. La compensation optique est utilisée sur des caméras de prise du vues rapide où plusieurs milliers d'images par seconde sont nécessaires à l'obtention d'un ralenti. Elle permet également, après l'arrivée du cinéma sonore, de visionner un film de façon silencieuse. Cet avantage est utilisé sur des tables de montage sonore, le montage pouvant être réalisé sans être gêné par le bruit de l'arrêt intermittent et de l'obturation entre les images.
Autres appareils
Après l'arrivée du Cinématographe et l'application à celui-ci de l'arrêt intermittent de la pellicule, on va constater que la compensation optique permet de réduire les frottements et les sollicitations sur la pellicule. Ainsi, différents inventeurs vont reprendre ce système parmi lesquels nous pouvons citer Messieurs Paul Mortier et Chéri-Rousseau et leur appareil dit Aléthorama[7] décrit par Albert Londe dans la Nature[8] : « l'ingénieux appareil de MM. Mortier et Chéri-Rousseau ouvre une voie nouvelle à la cinématographie qui depuis son origine n'a fait aucun progrès appréciable : grâce à lui nous espérons que cette belle découverte, débarrassée de certains défauts et de certaines imperfections, pourra enfin rendre dans le domaine scientifique les services qu'on est en droit d'attendre d'elle »
Les frères Lumière déposent un brevet en 1902[9], pour un appareil Cinématographe à défilement continu de la pellicule avec un système de miroirs plans, non pas mis en rotation comme sur les appareils Reynaud, mais mus alternativement.
Signalons enfin les appareils cités par Henri Brichta[10] : la loupe à ralentir du Dr Lehmann et le projecteur Mechau-Leitz. pour lesquels nous n'avons pas encore retrouvé de descriptif technique. à suivre...
Notes
[1] Les recherches en neurosciences tournent actuellement autour de deux phénomènes : l'effet phi et l'effet béta. Voir sur le blogue Le Cerveau à tous les niveaux : L'effet phi n'est pas l'effet béta !
[2] Le Phénakistiscope est constitué de deux disques synchronisés, l'un pour l'animation, le second pour les fentes, ou d'un seul qui combine ces deux éléments. On observe alors l'animation à travers les fentes par réflexion face à un miroir.
[3] La première démonstration en est faite en 1887 à Berlin. Voir Prélude au Cinéma De la préhistoire à l'invention - Jean Vivier - L'Harmathan, coll. Le Temps de l'image - Paris 2006 - P156
[4] Appareil déposé en 1857 au Conservatoire national des Arts et Métiers (n°6664)
[5] Voir Prélude au Cinéma De la préhistoire à l'invention - Jean Vivier - L'Harmathan, coll. Le Temps de l'image - Paris 2006 - P71-72
[6] Air utilisé par les opérateurs du Cinématographe pour impulser un rythme régulier aux tours de manivelle.
[7] Brevet n°254090 du 17/02/1896 : Appareil dénommé Aléthoscope, destiné à enregistrer photographiquement les scènes animées et à les reproduire soit par projection, soit par la vision directe avec ou sans l'illusion du relief
[8] La Nature n°1320 du 17 septembre 1898 - P253. Visible sur le site du CNAM
[9] Brevet n°323 667 déposé le 17 novembre 1902, publié le 11 mars 1903 pour un Cinématographe à mouvement continu de la pellicule. Voir http://cinematographes.free.fr/lumiere-continu.html
[10] Le Jubilé du cinéma - H. Brichta - Prager-Press - 7 juin 1925 (cité dans La Vérité sur l'Invention de la Projection animée, Émile Reynaud, Sa Vie et ses Travaux - Maurice Noverre - Imprimé pour l'auteur - Brest 1926 - P91)