Il y a, dans cet article forcément généraliste et où tout ne peut être développé, beaucoup de raccourcis sur lesquels nous n'allons pas revenir car ce qui nous a surtout interpellé, c'est la proposition du format « 35 mm » employé par Émile Reynaud pour ses Photo-peintures animées :

« Reynaud tentera d'utiliser le film noir et blanc 35 mm dans ce qu'il appelle les « Photo-peintures animées », mais il ne reste rien alors de ses dessins coloriés ; c'est un échec. »

Très vite, on retrouve dans wikipédia la phrase quasiment identique[1] :

« Quand la concurrence du Cinématographe se fait pressante, Reynaud tente d'utiliser le film noir et blanc 35 mm dans ce qu'il appelle alors les « Photo-peintures animées », mais il ne reste rien alors de ses délicats dessins coloriés, et c'est un échec. »

L'article Émile Reynaud et la photographie paru dans le numéro 27 de Cinéscopie (septembre 2012) est alors cité en référence mais il n'est pas question de "35 mm" dans cet article.

S'il est remarquable de voir citées les Photo-peintures animées, chose assez rare, cette phrase est un résumé abrupt et confondant sur toute la période où Émile Reynaud travaille à appliquer la photographie au Théâtre optique. Si nous analysons un peu la phrase, l'usage du verbe "tenter" appuyé par "c'est un échec" laisse entendre qu’Émile Reynaud n'y est pas parvenu et ses images photographiques deviennent des "dessins coloriés". Or nous savons qu'au moins 2 de ces bandes (Guillaume Tell, 1896 et Le Premier cigare, 1897) ont fait partie du programme des Pantomimes lumineuses au musée Grévin[2]. On peut donc s'interroger sur la nature de l'échec en question.
Mais cette information concernant un format de pellicule en particulier utilisé par Émile Reynaud me semble toutefois inédite. Essayons donc de remonter nos sources concernant cette question en nous accordant déjà sur le fait que les Photo-peintures animées sont des bandes de projection au format du Théâtre optique (environ 70mm) et que la question se pose en fait spécifiquement sur les bandes de prises de vue du Photo-scénographe.

Le format du Photo-scénographe

Pour la prise de vue, Émile Reynaud fabrique deux modèles pour un appareil qu'il appelle le Photo-scénographe. Un premier avec déroulement horizontal de bande, comme pour le Théâtre optique et un second avec déroulement vertical de bande. Les deux appareils sont illustrés par André Reynaud dans la biographie de Maurice Noverre[3]. Il n'y a aucune indication de format.

Paul Reynaud nous dit [4] :

« (...) l'inventeur, fidèle à son principe de synthèse optique, ne se servait de son photo-scénographe, appareil mécanique avec arrêt de la pellicule, que pour produire le film négatif. Il reprenait ensuite les images négatives, les triait, les transformait en positives en les agrandissant, puis coloriait et retouchait minutieusement ces positives et en faisait une bande qu'il projetait au moyen du Théâtre optique. »

Maurice Noverre ajoute[5] :

« Le savant examine un à un les clichés négatifs, choisit ceux qui expriment les attitudes principales et les transforme en clichés positifs par agrandissement sur des plaques de gélatine rigide. »

S'il ne nous reste pas tout à fait "rien" des Photo-peintures animées et des images du Photo-scénographe, il n'en reste effectivement pas grand chose dispersé entre les collections familiales, la Cinémathèque française et le musée des Arts et Métiers et ce ne sont que des images positives. Sachant qu’Émile Reynaud devait agrandir les clichés au format du Théâtre optique, nous ne pouvons pas conclure à partir des images positives conservées du format des bandes de prises de vue du Photo-scénographe.

Ce que nous dit Maurice Noverre[6] :

Retranscription de la séance du 22 juin 1898 du conseil d'administration du musée Grévin :
« À la suite des expériences de chronophotographies faites par M. Gaumont avec l'appareil Demenÿ, le conseil accepte les propositions de M. Reynaud, en date du 21 courant, pour la continuation des projections lumineuses, à l'intérieur du musée. (...) Émile Reynaud engage trois clowns de l'Alhambra (les Price) qui tournent trois pantomimes (...) devant l'appareil Demenÿ actionné par le savant... »

Cet appareil utilise une bande celluloïd de 60 mm[7]. On ne peut donc pas dire qu’Émile Reynaud qu'il "tente de faire des films noir et blanc en 35mm" avec cet appareil.

Le format 35 mm

Laurent Mannoni[8] nous dit :

« Les premiers Kodak utilisent une pellicule de 70 mm de large. Plus tard, il suffira de les couper en deux et de les perforer pour obtenir le futur standard cinématographique : le film 35 mm. »

Nous nous trouvons dans l'impossibilité de confirmer l'usage par Émile Reynaud d'une bande de 35 mm et nous avons beaucoup de réserves sur cette information qui ressemble fort à celle qui a longtemps été faite concernant le support utilisé pour les bandes des Pantomimes lumineuses à savoir qu'elles étaient réalisées sur un support nitrate. Avec cette volonté farouche d'intégrer les projections d’Émile Reynaud dans la "cinématographie", on a longtemps eu tendance à lui en attribuer les standards et à négliger les éléments techniques qui lui sont totalement spécifiques. C'est cette même approche cinématographico-centrée qui nous conduit encore aujourd'hui à confondre les Pantomimes lumineuses du Théâtre optique avec les films au format 35 des adaptations cinématographiques aujourd'hui visibles sur internet[9]

Même si on peut regretter que ce journal local n'ait pas plus développé la vie d’Émile Reynaud au Puy-en-Velay (le Dr Claude Auguste Reynaud, qui accueille Emile Reynaud au Château du Villard n'est plus qu'un vague cousin alors qu'il a été plusieurs fois Maire du Puy. Entre autres informations qui se trouvent sur notre site... ). Nous nous réjouissons de la place faite à Émile Reynaud et sommes heureux par ailleurs d'avoir pu trouver dans le journal l'information que la magnifique collection d'appareils d'Alexandre Clair (à laquelle Émile Reynaud fait référence dans ses cours[10]) ait également pu réintégrer les espaces d'exposition.

Notes

[1] à cette date, des modifications ont pu être faites depuis

[2] La Vérité sur l'Invention de la Projection animée, Émile Reynaud, Sa Vie et ses Travaux - Maurice Noverre - Imprimé pour l'auteur (1926), page 53 ; Réédition l'Harmattan (2013), page 175

[3] Maurice Noverre, ''ibid' (1926), page 60 ; Réédition (2013), page 170

[4] Lettre du 17 janvier 1923 à G.-M. Coissac, parue dans Cinéopse du 1er juin 1924 (n°58), page 450

[5] Maurice Noverre, ibid (1926), page 55 ; Réédition (2013), page 176

[6] Maurice Noverre, ibid (1926), page 61 ; Réédition (2013), pages 190, 191

[7] La Machine Cinéma - De Méliès à la 3D - Catalogue de l'exposition présentée à la Cinémathèque française du 5 octobre 2016 au 29 janvier 2017 - page 35

[8] La Machine Cinéma - ibid - page 30

[9] Voir notre article concernant le travail de Julien Pappé.

[10] Voir La Haute Loire du 14 avril 1877